Publié par The Overblowers

"...Et puis l'harmonica. C'est une musiquette de quatre sous, qu'il porte sans encombre dans une poche de son gilet. Elle lui suffit pour s'accorder quelques heures de rêve." (R. Giraud)

 

Son nom est déjà un poème. Léon Boudeville, dit Léon la lune, est un clochard des années 50, "résidant" de la rue Mouffetard, dont la vie est essentiellement partagée entre sa chienne Cora, et son harmonica.

Il est aussi le personnage principal, et l'inspirateur, d'un court-métrage de Alain Jessua : "Léon la lune, ou la journée d'un clochard à Paris". Court-métrage muet, qui reçut le prix Jean Vigo en 1957.

Ami de Robert Giraud, un compagnon des virées nocturnes et matinales de Robert Doisneau, voici notre Léon immortalisé par le grand photographe du petit Paris (ou l'inverse), son harmonica en main.

Léon la lune, Paris 1959 - photographie de Robert Doisneau

Léon la lune, Paris 1959 - photographie de Robert Doisneau

Léon la lune accompagne également Fréhel sur la fin de sa vie.

Voici ce qu'en dit Robert Giraud, dans le livre Le Peuple des Berges, un témoignage qui vaut le détour !

...Et puis l'harmonica. C'est une musiquette de quatre sous, qu'il porte sans encombre dans une poche de son gilet. Elle lui suffit pour s'accorder quelques heures de rêve. Elle lui permet de régaler un quarteron de bons amis d'un concert improvisé à l'occasion. Quelquefois, Léon se hasarde à jouer un air ou deux dans un bistrot et il récolte quelques piécettes. Celles-ci transformées en verres de gros rouge, c'est encore du rêve et du bon temps que lui a procurés son harmonica...
"J'ai jamais appris la musique, déclare fièrement Léon. Pourtant je joue tous les airs. Il me suffit de les avoir entendus une seule fois..."
C'est vrai. Vous pouvez demander à Léon n'importe quelle rengaine. Comme par enchantement, le minuscule instrument jaillit de sa poche, brille un instant au creux de sa main, puis Léon semble l'avaler... Et, de derrière les deux mains jointes en coquille sur la bouche, le clochard laisse écouler en notes aigrelettes les "amours...toujours" des poésies du trottoir et du bal musette.
D'ailleurs cet harmonica de gosse a valu son heure de célébrité à Léon, là-haut, place de la Contrescarpe. Il aime le rappeler.
"Tiens, quand j'étais artiste, c'était la belle vie! ..."
Et s'il devine un soupçon de scepticisme chez son interlocuteur, il s'enflamme :
"Oui, artiste... Et comment ! J'étais "ensemble" avec Fréhel, dans un bal musette de la Contrescarpe. Je l'accompagnais..."
C'était peu avant la mort de la grande artiste.
Dans une misère noire, Fréhel terminait sa carrière, comme elle l'avait commencée soixante ans auparavant peut-être, en poussant la goualante dans un "musette". Ce n'était plus la gamine qu'on hissait sur une table, mais une pauvre vieille toute fripée, au corps douloureux, cassé, usé par la misère et trop de tentations de suicide - habillée en fille de la Halle : jupe noire plissée, socquettes rouges dans les pantoufles éculées. Mais la voix était restée la même.
Quand elle disait à Léon "Vas-y, minet vert..." et que s'élevait la chanson banale et éternelle des amours de la rue, la salle chavirait. Tous, calicots en goguette, petites ouvrières trop jeunes pour avoir connu la Grande Fréhel, flambeurs, filles et maquereaux, tous, silencieux, écrasés, écoutaient la voix chaude, magnifique, vibrante de poésie.
Fréhel savourait encore les applaudissements. On ne les lui marchandait pas. Pas de claque, pas de frime. C'était du sincère. Léon la Lune en prenait sa part.
"Oui soupire-t-il, c'était le bon temps ! Quel succès on avait ! Il fallait que je rejoue, même quand elle avait fini son tour. Elle partait de bonne heure pour rentrer chez elle, là-bas, à Montmartre... Moi, je restais... Elle m'avait fait donner une belle musique toute neuve. On me l'a volée. J'ai pas eu de chance. Enfin, c'est la vie..."

Le Peuple des Berges, Robert Giraud

Léon la lune et son harmonica
Léon la Lune, brandissant le trophée du prix Jean Vigo

Léon la Lune, brandissant le trophée du prix Jean Vigo

Léon la Lune et Alain Jessua

Léon la Lune et Alain Jessua

Evidemment, ça m'étonnerait que l'on trouve un jour un enregistrement de Léon, mais je suis tombé sur sa photo de bouille lunaire, et j'ai eu envie de lui consacrer un petit hommage venu du siècle d'après.

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E
Très sympa de découvrir cet artiste d'un autre temps, merci Jersi !
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J
Oh un Thomas qui passe par là !<br /> Merci Ergel.
H
Puisque c'est l'heure de la poésie; pour l'anniversaire d' Overblowers....<br /> <br /> &quot;Jouer de l'harmonica, c'est transformer son souffle en musique...<br /> C'est devenir musique depuis le fond de l'être, jusqu'au ras des lèvres.&quot;<br /> <br /> c'est Jean Giono qui a écrit cette magnifique phrase dans le roman &quot;Un de Baumugnes&quot;<br /> <br /> Joyeuzanniversaire à tous les overblowers passionnés!!!!! ;-)
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J
Merci pour cette citation Gilles !<br /> Et joyeux anniversaire aussi ! :-)
F
Super article<br /> <br /> Merci
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J
Yes, j'aime bien ce genre d'histoire.<br /> Merci Jean-Jacques, à bientôt.