Overnotes : mythes et réalités n°10
"Jouer dans les 12 tonalités, et choisir un harmo en C pour jouer un morceau avec beaucoup de bémols à la clé, c’est bien sûr un challenge de travail intéressant, mais ça n'apporte rien musicalement"
C'est une remarque que l'on m'a faite il y a quelques jours. On sort un peu du champs directement lié aux overnotes, pour parler du jeu chromatique. La question est intéressante, et il faudrait plusieurs chapitres pour expliquer réellement les enjeux qui peuvent pousser une personne à faire ce genre de choix. Je voudrais juste revenir sur des considérations plus générales, quitte à enfoncer quelques portes ouvertes.
En fait, c'est plutôt l'inverse : travail fastidieux (au début en tous cas), mais grand retentissement sur le plan musical.
On comprend vite que c'est un challenge de travail totalement inintéressant. Franchement, quand vous déployez un vocabulaire dans 12 tonalités, et 7 modes par tonalité, multiplié par le nombre de gammes avec lesquelles vous voulez jouer, puis que vous devez encore apprendre à mixer les gammes entre elles, et enfin à créer des phrasés avec ces mélanges, vous ne vous dites pas "oh, que c'est passionnant comme challenge !". Vous vous dites plutôt : "mais c'est pas bientôt fini ce déliiiiiiiiiiiiiire ?".
L'unique point un peu rassurant, c'est qu'on se rend compte qu'on va de plus en plus vite sur chaque gamme, chaque tonalité, et chaque mode (on finit même par y prendre du plaisir ! si si, j'vous jure !).
Donc la seule et unique raison qu'une personne a de s'infliger une telle galère, réside justement dans son développement musical personnel. Si le musicien s'attelant à cette tâche n'y trouvait pas très directement un intérêt musical fort, il abandonnerait longtemps avant d'avoir atteint les 12 tonalités !
En fait, le gain en terme de musicalité est inversement proportionnel (exponentiellement, devrais-je préciser), au taux d'emmerdement que représente ce travail.
La bonne nouvelle est que ces gains se sentent très vite, dès la première gamme travaillée, dès le premier mode étudié, dès le premier accord un tant soit peu réfléchi.
En fait, en sachant où chercher, et comment opérer, en 1/2 heure vous pouvez déjà ouvrir votre horizon avec une nouvelle gamme, une nouvelle sonorité. Résultat concret observé sur 100% des sujets : à la fois gain de précision sur leur jeu habituel, et enrichissement de leur vocabulaire. Et ce quel que soit le niveau.
C'est ce que je fais avec mes élèves, y compris avec des joueurs débutants, à qui ça ne pose aucun problème pour la bonne et simple raison qu'ils ne savent pas que ce n'est pas une démarche très courante chez les harmonicistes.
Maintenant, personne n'a dit qu'il était obligatoire d'enrichir son vocabulaire (et ce n'est pas du sarcasme, je préfère préciser). Certaines personnes aiment découvrir constamment de nouvelles choses, et explorer sans cesse de nouveaux styles et façons de jouer, d'autres préfèrent renforcer constamment leurs acquis et en faire leur marque de fabrique, et la plupart des joueurs seront quelque part entre les deux.
Chacun féféfésskiluiplépléplé, et c'est tant mieux !
On peut toutefois remarquer que dès qu'on entend un bluesman jouer un Mi sur l'accord de Do - a fortiori un La sur le G7 ou le C7 - il est d'ores et déjà sorti de la gamme de G Blues, et même de toute gamme Blues. Il y a des raisons à cela, et des façons de s'entraîner à le faire via ce genre de démarche, qui seront plus difficiles à gérer à partir de la fameuse mais nébuleuse 2nde position. On peut également remarquer que 100% des bluesmen non harmonicistes ne jouent pas uniquement avec la gamme de G Blues sur un Blues en G...
Perso, j'ai tendance à penser qu'on va beaucoup plus vite à expérimenter et intégrer tout ça dans son jeu quand on a une ligne directrice théorique en soutien, même minime, qu'en essayant de l'intégrer uniquement par l'écoute des précurseurs.
Même si rien ne remplace l'écoute. Ce sont deux démarches compémentaires, pas opposées. Mais prendre l'une pour obtenir ce que l'autre permet d'obtenir très rapidement est un peu dommage.
Je me souviens très bien qu'il m'a fallu vraiment beaucoup de temps (probablement plusieurs mois !) avant de comprendre que sortir un 6 aspiré au moment où j'entends un accord différent dans un blues était redoutablement efficace. Il me faut pourtant aujourd'hui 15mn pour l'expliquer aux débutants, qu'ils comprennent où ça se passe et pourquoi, et les entendre le reproduire dans leurs premières tentatives d'improvisation !
Les gars qui ont 2 heures de cours sont certes peu assurés, mais plus pertinents que je ne l'était au bout d'un an de pratique !
A l'inverse, je ne proposerais pas de passer par la théorie pour compendre l'expressivité qui peut se dégager du blues...
Tordons au passage le cou à une autre idée reçue : personne n'a jamais dit non plus, que ce travail sur les tonalités était obligatoire, et devait absolument être suivi par 100% des musiciens. Ca n'a jamais été le cas, et ne le sera probablement jamais.
Ca dépend de tout un tas de facteurs, dont en premier lieu la musique que l'apprenti désire jouer, et comment il désire la jouer.
Le type qui veut reprendre exclusivement du Sonny Boy Williamson n'en éprouvera pas forcément le besoin (même si au moins une partie de la démarche lui ferait beaucoup de bien, comme déjà expliqué), celui qui veut reprendre du Coltrane n'a tout simplement pas le choix (et les 12 tonalités sont d'ailleurs le cadet de ses soucis par rapport à tout ce qui lui manque réellement pour jouer cette musique). Celui qui veut faire du Blues, du Rock, de la Pop, de la chanson française et un peu de Jazz, sera quelque part entre ces 2 extrêmes (y compris en variétés, il y a souvent des changements de tonalité, ou au moins de mode au sein d'un même morceau ...).
Notons que le simple fait de se pencher sur une démarche un peu différente pousse à s'intéresser à ce qu'il se passe réellement au sein d'un Blues. Même dans une unique tonalité, et même sur un Blues on ne peut plus classique, et même avec très peu d'overblows, voire pas du tout, le jeu va s'enrichir presque immédiatement.
Au-delà du Blues, je pense que 3 ou 4 tonalités sur un harmo sont amplement suffisantes pour développer un vocabulaire déjà très riche, et pouvoir jouer dans à peu près tous les styles de musique.
Et si certains s'évertuent à travailler malgré tout dans les 12 tonalités, c'est qu'ils doivent avoir de bonnes raisons ! Faites-leur confiance, ils y voient très concrètement leur intérêt.
Mon conseil du jour :
Faites comme vous voulez : développez une tonalité, ou 2, ou 4, ou 12, ou apprenez uniquement des gimmicks à coller les uns aux autres, trouvez le chemin qui vous sied le plus, et qui sera le plus efficace par rapport à la musique que vous désirez jouer, mais n'éliminez pas des choix pour de mauvaises raisons.
Si vous commencez à vous dire "ça ne sert à rien, et les gars qui le font n'ont rien compris à la musique", vous faites le premier pas vers la justification de votre futur plafonnement musical. Si vous essayez de comprendre à quoi ça sert, mais que vous trouvez que cela représente trop de travail, ou un travail qui ne vous intéresse pas, ou n'est pas votre priorité, vous vous laissez alors l'opportunité de développer votre propre musique, quel que soit votre niveau, et accepterez d'autant plus facilement ce qui demandera un peu moins de travail et sera également très profitable pour votre jeu, et ce quel qu'en soit le style "musical", justement !
J'ai conscience que ce papier est parti un peu dans tous les sens, je m'en excuse ...
Sur ce, c'est les vacances, yeeeepaaaaa !!! Et ensuite, ce sera le stage Diato-Jazz, donc vous risquez d'avoir peu de mes nouvelles pendant les 2 prochaines semaines ...
Profitez-en pour relire les articles passés, et refaire quelques exos, ça fait toujours du bien !
Amusez-vous bien, à bientôt, et merci d'être de plus en plus nombreux à lire et à vous abonner à TheOverblowers.com !